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Philippe CARRE : première vente d'atelier


Philippe CARRÉ (1930-2022)

« Une œuvre ne se fait pas avec une bonne idée,
elle est la rencontre, la confrontation d’une multitude de notes,
de sensations, de décisions et d’intuitions ».
Ph. Carré, 1982

En 2023, la Maison André Breton – Centre international du surréalisme et de la citoyenneté mondiale, située dans le pittoresque village de Saint-Cirq-Lapopie, a enrichi ses collections d’une œuvre de Philippe Carré. Tout récemment, à l’automne 2024, une autre œuvre de l’artiste était présentée au Musée de Pully, en Suisse, lors de l’exposition Figuration Narrative : un autre langage pop (13 septembre – 15 décembre 2024). Il s’agit de Police – Mai 68, une grande sculpture-relief acquise un an auparavant à Paris, chez Artcurial, par la Fondation Jean-Claude Gandur pour l’Art. Cette œuvre remarquable, datée du début des années 1970, fait partie des sculptures-reliefs de Philippe Carré où, pour reprendre les mots de Jean-Louis Pradel, historien d’art et fin connaisseur du mouvement de la Figuration Narrative, « des figures méticuleusement découpées dans du contreplaqué peint se superposent, faisant éclater dans l’espace des bas-reliefs vibrants et vigoureux d’images politiques, des signes d’indignation et de contestation aussi tranchants que des cris : la promesse des œuvres de Philippe Carré est celle d’un monde autre possible, tant elles sont des mémoires obstinées de l’avenir de l’homme ».

Né le 20 novembre 1930 à Paris (18e), Philippe Carré est un jeune adolescent de 15 ans au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Après un apprentissage de six années dans les ateliers de vitraux de Max Boutzen à Arcueil, il s’inscrit aux cours artistiques supérieurs de dessin et de composition de la Ville de Paris, au 80 Boulevard du Montparnasse. Il suit notamment les enseignements de son directeur, le charismatique fresquiste Robert Lesbounit, ainsi que ceux du sculpteur Henri-Georges Adam, ami de Picasso.

Grand amateur de théâtre, Philippe Carré est profondément marqué par la mise en scène engagée de Bertolt Brecht par Jean Vilar, en 1960 au TNP de Paris, en pleine guerre d’Algérie. Il se passionne pour la scénographie et suit en 1965 la formation de l’Université du Théâtre des Nations, au Théâtre de la Ville, animée notamment par Antoine Vitez, poète, acteur et metteur en scène majeur du XXe siècle. Influencé par l’avant-garde russe et l’esthétique du Bauhaus, Philippe Carré réalise alors des maquettes scéniques pour des pièces de Brecht, Maïakovski, Shakespeare, Eschyle, Molière, ainsi que pour les Noces de sang de Federico Garcia Lorca (maquette qui lui permet de remporter le 1er Prix de scénographie théâtrale lors de la 4e Biennale d’art au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris). Il conçoit également, jusqu’en 1976, la scénographie et les décors de plusieurs spectacles, dont une pièce d’Alfred Jarry au Théâtre de Poche-Montparnasse, ou encore La Politique des restes d’Arthur Adamov au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis en 1967, qui fut largement saluée par la critique.
Parallèlement, Philippe Carré enseigne depuis 1965, avec son épouse artiste Agnès, le dessin et la peinture à l’École municipale d’Arcueil, où le couple anime pendant plus de dix ans un atelier destiné aux enfants et adolescents. Entre les années 1970 et 1990, Philippe Carré déploie toute sa créativité grâce au fameux 1% artistique, cette aide publique qui permet aux artistes d’intervenir dans l’espace urbain pour les municipalités. Parmi ses réalisations notables, on trouve la grande fresque dédiée au sport de la salle Lakanal à Vitry-sur-Seine (1980), ville où de nombreux artistes avant lui, tels que Corneille, Sonia Delaunay ou Jean Messagier, avaient déjà laissé leurs empreintes artistiques dans les mêmes conditions.

Les événements de Mai 1968, auxquels il a pris part – tout comme Bernard Rancillac ou Gérard Fromanger – ont profondément influencé son travail. Ses œuvres des années 1970 témoignent d’un regard critique sur l’actualité politique et sociale. Comme d’autres de ses contemporains de la Figuration Narrative, il privilégie une réflexion réalisée à partir de photographies de presse pour interroger les enjeux sociaux de son temps, et développe un langage contestataire à travers ses créations. Les thèmes qui lui sont chers incluent Mai 68 et sa répression policière, la guerre du Vietnam, la dictature des colonels en Grèce, le coup d’État de Pinochet au Chili, la place des femmes, l’image de la famille, l’impact de la télévision, la société de consommation, l’aliénation par le travail, etc. Au croisement du dessin et de son travail de peintre fresquiste, il commence à concevoir ses premières sculptures-reliefs : des panneaux de contreplaqués découpés en reliefs sur lesquels les plans superposés assemblés sont peints en aplats.

Nommé Professeur d’arts appliqués à l’École d’Architecture de Bordeaux en 1976, Philippe Carré bénéficie la même année de sa première exposition personnelle à Villeparisis, réunissant ses sculptures-reliefs pop contestataires. Un an plus tard, il participe à l’ouvrage collectif engagé Chroniques des années de crise, aux côtés notamment des écrivains Franck Venaille, Bernard Noël, et des artistes Ernest Pignon-Ernest et Serge Revzani. C’est à cette période que Philippe Carré commence à participer annuellement à de nombreuses manifestations artistiques à Paris et dans sa région : le Salon de la Jeune Peinture au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris (où il expose notamment dans la section « Antifascisme » dans l’édition de 1975), le Salon des Réalités Nouvelles, le Salon de Sculpture Contemporaine, le Salon de Mai, le Salon d’Automne, le Salon de Montrouge, le Salon Figuration critique au Musée du Luxembourg, ou encore le Salon Comparaisons au Grand Palais. Travaillant dans son atelier parisien du XIXe arrondissement, Quai de la Loire, il expose aussi au début des années 1980 à Créteil aux côtés de Gilles Aillaud, Erró et Eduardo Arroyo, ainsi qu’au Château de Dampierre, au Musée des Beaux-Arts de Lille et à Bruxelles. Certaines de ses œuvres sont alors acquises par des institutions publiques, comme le Musée National du Sport en 1981, et le Centre National des Arts Plastiques qui acquiert en 1983 sa sculpture-relief L’Homme brisé (1979), une œuvre que l’artiste belge Roland Delcol décrit comme une « toile en relief tout à fait intemporelle : le prisonnier représenté par Carré est de tous les âges, de tous les temps, de toutes les tendances, de toutes les contestations ».

Au début des années 1980, Philippe Carré développe de nouvelles réflexions artistiques, donnant naissance à des œuvres où les formes s’interpénètrent par l’utilisation de techniques mixtes : dans celles-ci, l’artiste mélange des matériaux simples aussi divers que le polystyrène, le plâtre, le métal, le plexiglas, le bois, les galets, le gravier, le sable, la terre, les écorces, les mousses, ou encore le carton – « la richesse des matériaux pauvres », prenait-il souvent plaisir à dire. Coupés, déchirés, ciselés ou incisés, ces matériaux sont méticuleusement travaillés avec passion par Philippe Carré, pour être transformés en un jeu subtil et codifié d’épaisseurs, de surfaces, de couleurs, d’inclinations et de surépaisseurs qui réinterprètent la nature en tableaux-objets ou en sculptures-fenêtres, remplis de nuances et d’oppositions, d’ombres et de lumières. Les sujets et les formes qui lui sont chers, sont très souvent travaillés par Séries et réinterprétés au fil des années.

« Je recherche une écriture pour faire apparaitre ce qui ne se donne pas à la surface des choses dans un premier regard, écrit-il en 1995, à la fois éclatement niant le cadre pour participer à l’environnement, et carrefour, point de rencontre, où de multiples insignifiances prennent sens et force ».

En 1984, Philippe Carré est invité à participer à l’importante exposition collective SOLS : peintures, sculptures, installations, organisée sous le commissariat de l’ethnologue Jean-Marie Gibbal, justement consacrée au rapport que les artistes peuvent entretenir avec les sols, leurs matériaux, leurs reliefs et leurs mémoires. Il expose à cette occasion aux côtés notamment de Carl André, de Richard Long ou encore de Pierre Tal Coat.
Par la suite, installant un double atelier à Fécamp et à Paris, 40 boulevard de Bercy, Philippe Carré collabore à de nombreuses expositions collectives sur un rythme quasi annuel, parmi lesquelles on relèvera notamment celle en 1987 au Musée l’APHP avec Olivier Debré, Hervé Télémaque ou bien encore César, ainsi que celle en 1997 en hommage à Lesbounit avec ses condisciples Gérard Fromanger et Michel Macréau. Parallèlement, Philippe Carré connaît aussi plusieurs expositions personnelles dédiées à ses dernières œuvres, entre la Normandie, Paris et le département du Lot, où il s’installe définitivement en 2005 à Figeac, avec sa seconde épouse, la poète Hannah Goutverg. En 2016, c’est dans cette charmante ville d’Occitanie qu’une rétrospective a rendu un juste hommage à cet artiste toujours curieux de découvertes, patient, rigoureux, généreux et discret, en présentant toute l’étendue de ses 50 ans de création.
« Dans les variations paysagées de Philippe Carré, écrit le poète Luis Porquet, les turbulences de la géomorphologie créent une constellation frémissante de symboles, avec laquelle l’artiste nous ouvre successivement quelques hublots donnant sur le sable et la vague, la falaise et le vent, les strates du littoral, la plénitude de la lumière ».
 
Camille Noé Marcoux
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